mercredi 18 novembre 2009

Lettre de Paolo depuis la prison de Gand

Mes chers,

Le 25/10/2009, à 7h50 j’étais cerné dans la rue, alors que je sortais mon chien, par trois membres de la SRN, la Service Nationale de Recherche. Je devais les accompagner au commissariat pour un interrogatoire. Au coin de la rue, un escadron d’intervention spéciale attendait dans un combi blindé au cas où je résisterais. Ces enfoirés ne m’ont même pas laissé dire au revoir à ma fille qui allait à l’école à ce moment-là.
La veille, le même service de police avait perquisitionné mon domicile en mon absence. Ils ont confisqué mon ordinateur portable et ont pris toute une série de photos d’affiches politiques etc.
Au poste, ils m’ont demandé un alibi pour la nuit de 6 au 7 octobre et ils m’ont posé toute une série de questions à propos de numéros de portables et d’un ami. Après lui avoir montré des photos, un témoin m’aurait reconnu comme une des deux personnes qui auraient incendié un conteneur de chantier cette nuit-là. *
Après l’interrogatoire, ils m’ont arrêté judiciairement. A 14h, je passais devant un juge d’instruction qui a décidé de m’arrêter, accusé d’incendie volontaire pendant la nuit contre des biens mobiliers. J’ai été transféré à la prison où j’ai été mis en isolement jusqu’au jeudi soir. Ceci probablement pour éviter que je prenne contact avec Jürgen, qui avait été arrêté et placé en détention préventive deux semaines auparavant, avec la même accusation plus celle d’incendie de nuit contre des biens immobiliers. Plutôt rigolo que maintenant, ça fait une semaine qu’on est dans la même cellule.
Après cinq jours, je suis passé devant la Chambre de Conseil. Le procureur m’a dit que je suis aussi soupçonné d’autres faits. Le juge d’instruction est venu le jour même avec de nouvelles données sur un portable. Mon avocat avait pourtant dit que ceci n’était pas possible le jour de la comparution devant la Chambre. Donc je me suis fâché. (Pas une très bonne idée dans la Chambre de Conseil, haha). Ca, et le fait que je refuse de collaborer à l’enquête sont des choses qu’ils ne supportent pas : détention préventive prolongée d’un mois.

Maintenant, ça fait deux semaines que je suis dedans et je me suis « habitué » au régime carcéral, dans la mesure où c’est possible bien sûr. Tu te retrouves dans une situation où l’Etat a le contrôle complet sur ton existence physique et t’isole physiquement du reste de la société. Là où, « dehors », il y a une petite possibilité de te soustraire à l’autorité dominante de l’Etat et du capital, ici tu es confronté à une cristallisation des rapports sociaux.
Si tu vis dans l’Occident riche et si tu fais partie de la bonne section de la population, tu peux te faire l’illusion que tu es relativement libre. Tu peux consommer à volonté, te perdre dans toutes sortes de réalités virtuelles et, si tu as du fric, tu peux même aller voyager un peu et garder l’illusion que tu disposes d’une liberté (de mouvement).
« Dedans », l’illusion est écrasée par l’omniprésence de l’appareil répressif qui contrôle tous tes mouvements et les note convenablement dans de petits rapports. Et si tu ne respectes pas leurs petites règles, ils te donnent un mauvais rapport et/ou ils te jettent au cachot, te placent en régime strict et t’enlèvent certaines « libertés » comme téléphoner, la visite etc. Tout à fait comme dehors, où les privilèges qu’on a (ces libertés artificielles) sont vus comme de la vraie liberté, dedans tu t’habitues après un certain temps à quelques privilèges (comme la promenade, téléphoner, etc.) et tu ne conçois plus le fait d’être enfermé comme le problème, mais bien la sauvegarde de certains privilèges comme solution à tes problèmes. Finalement, aussi ici, tu peux, si tu as de l’argent, consommer à volonté et te sentir mieux à cause de ça. Te sentir comme si tu te trouves dans un hôtel bon marché avec la seule différence que tu ne peux pas aller te promener sur la plage pour regarder des singes, mais où tu dois rester tout ce temps de merde en cellule, sans grogner…

Ca va bien avec moi, et aussi avec Jürgen, en dehors du fait qu’on est donc traité comme des mouflets (on ne peut même pas avoir de briquet ou d’allumettes en cellule). Pour le reste, c’est souvent ta propre attitude qui détermine comment les autres prisonniers et les matons te traitent, bien sûr qu’il y a des enfoirés et des conasses partout. Le plus difficile, c’est de rester hors de la hiérarchie qui règne ici (la même qui, à l’extérieur, est seigneur et maître du sort des milliards). Et ceci dit, je ne veux pas seulement dire la hiérarchie entre l’Etat (matons, flics) et les prisonniers, mais aussi entre prisonniers eux-mêmes. Car cette hiérarchie est bien dessinée ici et tu ne dois pas penser, en petit anarchiste, à attaquer cette structure ou sinon, pour ainsi dire, ils te mettent une fourchette dans l’estomac.

Tant que les rapports de pouvoir dans toute la société ne sont pas bouleversés, ces structures ici resteront debout. La destruction des prisons, de toutes ses structures et de toutes ses formes, comme une partie d’un appareil répressif et totalitaire, ne peut prendre corps que dans une lutte totale qui vise à détruire le capitalisme et son outil, l’Etat. Amen.

Normalement, je devrais passer à nouveau fin novembre devant la Chambre de Conseil, mais ça a été avancé vers le 9 novembre, la date où Jürgen aussi doit comparaître devant la Chambre. Bien sûr nous voulons tous les deux sortir d’ici au plus vite possible, mais le fait que nous ne collaborons pas à l’enquête leur donne bien sûr une bonne occasion de nous emmerder et de garder le plus longtemps possible en détention préventive.

Jusque là, nous restons aux frais de l’Etat, généralement avec un sourire, mais avec de temps un temps une larme, mais toujours libres dans la pensée !

POUR UNE SOCIETE SANS CLASSES ET SANS PRISONS !

Paolo
prison de Gand

* Cette nuit là, un débat a eu lieu à Gand avec entre autres Filip Dewinter [leader du parti fasciste] et J.M. Dedecker [leader d’un parti de l’extrême-droite]. Le sujet était, comment il est possible autrement, le débat sur la voile. En temps de soi-disant crise économique (car les riches ne mangeront pas une tartine de moins), le capital (et ses mercenaires, les fascistes et partis de droite) tient toujours prêt le mouton noir pour déclencher une chasse à l’homme. Ainsi, il dévie l’attention des problèmes réels comme la division inégale et criminelle des richesses. Les partis sociaux-démocratiques de « gauche » ont participé volontiers à cette campagne calomnieuse pour maintenir et augmenter leur électorat. Ils n’ont pas d’autre stratégie contre (l’extrême) la droit de reprendre les points de vu et la propagande de haine contre les clandestins et les étrangers (sous le couvert d’une guerre contre le terrorisme et, susurrant, contre l’islam). Cette même nuit, le Palais de Justice à Gand a été attaqué et quelques étudiants de droite ont été rossés. Ici et là, des feux ont été allumés.

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